CRITIQUE: LA GRAINE ET LE MULET (2007)

Le dernier film d’Abdellatif Kechiche est une belle réussite. Il s’agit ici de l’histoire de Slimane, immigré algérien de 60 ans, qui travaille sur les chantiers navals à Sète. Le jour où son patron le vire, il se retrouve sans rien, exceptée sa famille . Il décide avec l’aide de sa belle-fille (formidable Hafzia Herzi) de réaliser son projet: il achète un vieux rafiot qu’il compte retaper pour en faire un restaurant dont la spécialité sera le couscous de poissons de son ex-femme (d’où le titre du film).

Comme dans ses précédents films, kechiche traîte ici du thème de l’intégration. Le tour de force de kechiche est de nous faire passer pas loin de 2 heures et demi à suivre les aventures  de Slimane sans qu’on voie le temps passer! Comme toujours il dirige sa troupe de comédiens à la perfection: Kechiche dilate le temps au maximum dans toutes ses scènes mais on est emporté par la justesse de l’interprétation, à la limite du documentaire.

La chronique sociale devient dans la dernière partie du film quasiment un thriller qui nous laisse lessivé!Après le formidable « l’esquive », encore un grand film qui peut en rebuter plus d’un mais qui fait preuve d’un coeur grand comme ça!

VENUS NOIRE (2010)

MK2 Diffusion

Paris, 1817, enceinte de l’Académie Royale de Médecine. « Je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ». Face au moulage du corps de Saartjie Baartman, l’anatomiste Georges Cuvier est catégorique. Un parterre de distingués collègues applaudit la démonstration. Sept ans plus tôt, Saartjie, quittait l’Afrique du Sud avec son maître, Caezar, et livrait son corps en pâture au public londonien des foires aux monstres. Femme libre et entravée, elle était l’icône des bas-fonds, la « Vénus Hottentote » promise au mirage d’une ascension dorée…

Pour son quatrième long métrage après « la faute à Voltaire », « l’esquive » et « la graine et le mulet », Abdellatif Kechiche traite une fois de plus du racisme et de la discrimination mais cette fois-ci avec un film en costumes. Après la scène d’ouverture dans laquelle le scientifique Cuvier fait sa démonstration, Kechiche retrace les sept années précédentes. La vénus hottentote se produit d’abord avec son maitre Caezar à Londres. Le clou du spectacle est le moment où le public, effrayé mais excité, peut toucher son postérieur pour en vérifier la véracité. Puis, la rencontre du français Réaux va mener Saartjie et Caezar à Paris où les représentations vont se succéder, y compris lors de soirées libertines durant lesquelles les participants pourront toucher le » tablier » formé par les lèvres du sexe de la vénus. Devant le refus de la jeune femme de se soumettre à un tel point, Réaux l’envoie dans un bordel au sein duquel elle contracte une maladie vénérienne. Elle mourra quelques temps plus tard seule mais son calvaire n’est pas teminé pour autant puisque Réaux vendra son corps à Cuvier qui en fera un moulage et la dissèquera…

Finis les dialogues de « banlieue » d’apparence improvisés mais la méthode Kechiche est toujours présente. Chaque scène est dilatée à l’extrême, mettant le spectateur dans la position des voyeurs qui assistent aux représentations. Rien ne nous est épargné et si certains pensent que ces redites sont inutiles, ils ont tort. Kechiche montre bien ici l’évolution de la situation de la pauvre Saatjie; alors qu’au début, elle se considère presque comme une artiste, elle est de plus en plus exploitée et humiliée, la précipitant toujours plus dans l’alcool et un certain mutisme.

L’autre marque Kechiche, c’est sa direction d’acteurs. Olivier Gourmet est hallucinant dans ce rôle de montreur d’ours pour qui l’argent est la seule priorité et la jeune Yahima Torrès est la révélation du film. Gageons qu’elle trouvera sa voie comme Sara Forestier (l’esquive) ou Hafsia Herzia (la graine et le mulet).

La scène finale dans laquelle Cuvier la dissèque et pèse ses organes restera dans les mémoires. Quand le générique tombe tout d’un coup, sans musique, sur les mots « poids du cerveau: 1,3kg », un silence de mort règne dans la salle et l’on se dit qu’on a assisté à un film capital.